L'exposition baptisée «Les Choses» est consacrée à la manière dont les artistes se sont intéressés à la nature morte, à la représentation des objets qui les entourent. Ici c'est une extraordinaire plongée dans l'histoire de la nature morte des origines à nos jours que nous propose le musée.

Cette exposition nous montre que les artistes ont été les premiers à prendre les choses au sérieux. Ils ont reconnu la présence des choses, les ont rendues vivantes et intéressantes en magnifiant leur forme, leur signification, leur pouvoir, leur charme. Ils ont saisi leur faculté à nous faire imaginer, croire, douter, rêver, agir. Un bel exercice ! A votre tour de découvrir ou redécouvrir quelques oeuvres exposées, de les regarder et stimuler votre imagination. 😀

Buster Keaton (1895-1966) "The Scarecrow' - L'Epouvantail, 1920 Film 35 mm, 26, extrait

Dans son film muet en noir et blanc de 1920, le génie du cinéma muet filme une cuisine où deux ouvriers agricoles, qui partagent le même foyer, font descendre du plafond tout ce dont ils ont besoin pour manger grâce à un astucieux système coulissant. Pour faire la vaisselle, ils plaquent au mur et à la verticale ce qui doit être lavé à grand jet d'eau. Ce faisant, il renouvelle au cinéma le genre de la nature morte, rendue à une drôle de vie.

Cloche cérémonielle, Edo, 16ème-17ème siècles. Alliage cuivreux. Afrique, Royaume du Bénin, Nigéria.

Le visage-pendentif évoque un objet de prestige accordé en récompense par le roi, l'Oba du royaume Edo de Bénin. Il évoque la victoire sur des territoires conquis, et leur sujétion. Portée autour de la taille par les chefs de guerre lors des cérémonies et des défilés, la cloche symbolise alors le bruit de la guerre. Elle porte d'ailleurs sur une autre face l'image d'un pendentif suspendu par un cordon qui évoque la défaite et l'assimilation de l'ennemi. En d'autres circonstances, placée sur des autels, la cloche convoque par son tintement les esprits protecteurs et les mânes des ancêtres.

Livret de dévotion, vers 1330-1340. Ivoire polychromé et doré. Cologne ?

Ce double feuillet représentant les Arma Christi (les «Armes du Christ») fait partie d'un petit livret de dévotion. Aux scènes de la Passion du Christ, qui y sont également représentées, sans texte, répondent les instruments de cette Passion, soigneusement inventoriés dans l'image :  des trente deniers reçus par Judas pour prix de sa trahison au tombeau vide, en passant par le roseau et le fouet de la flagellation. Rien ne manque, excepté le Christ lui-même, absent, mais présent dans chacune de ces choses qui devaient faire récit, engager à la prière et à la méditation.

Nature morte aux bouteilles et aux livres, vers 1530? Huile sur bois (chêne). Peintre anonyme, Allemagne du Nord

Ce panneau, qui figure, au-dessus d'une niche garnie, une armoire entrouverte, se déchiffre comme un rébus. Les choses représentées sont des indices sur le commanditaire et l'œuvre : les livres, l'encre et la plume renvoient à la pratique de la lecture et de l'écriture, la petite gourde «pour le mal de dents», le pot à onguents, l'urinal en verre, le bézoard sur la boîte - une concrétion se formant dans l'appareil digestif, considérée comme un antidote - indiquent que leur propriétaire était médecin. Il a commandé cette œuvre pour l'encastrer dans un lambris formant trompe-l'œil, dans son intérieur du nord de l'Allemagne.

Chauffe-mains en forme de livre fermé, vers 1490-1510. Faïence, métal. Italie, Faenza ou Pesaro

Ce chauffe-mains, qui recevait de l'eau chaude par un orifice situé sur le côté, peut aussi avoir été utilisé comme une flasque. Son décor est caractéristique d'une reliure médiévale, et le souci d'imitation a été poussé jusqu'à simuler le fermoir à tenon. Au moment où les livres d'heures, ouvrages de dévotion privée, commençaient à se généraliser grâce à l'essor du livre imprimé, ce type de récipient en céramique, dont on connaît d'autres exemples, leur répondait directement. Il en redoublait la présence dans la sphère domestique, dans un contexte laïc ou religieux.

La Boutique du boucher Macelleria, 1568 Huile sur bois. Joachim Beuckelaer (Anvers, vers 1533-vers 1574)

Cette boutiquc de boucher déborde de viandes, mais toute la chair accumulée suggère d'autres plaisirs : derrière le boucher, amateur de bière, un homme enlace une femme, tandis qu'un personnage récure un pot. La représentation des choses, mêlées aux êtres, la viande, mais encore le gros chou, un symbole de luxure, les carottes, qui évoquent le sexe masculin, est alors un moyen d'exprimer bien des désirs.

Nature morte aux légumes, vers 1610 Huile sur toile. Frans Snyders (Anvers, 1579-1657)

Peinte vers 1610 par l'artiste flamand baroque Frans Snyders, élève de Pieter Brueghel le Jeune et de Hendrick van Balen, cette Nature morte aux légumes présente en gros plan la récolte d'un couple de paysans renvoyés, eux, en minuscule dans le lointain. Les producteurs sont condamnés à l'état subalterne alors même que ce sont eux qui travaillent la terre afin de produire des marchandises à vendre. Le chou, le cardon, le melon ou les carottes forment une montagne de choses qui se déverse sur nous comme pour annoncer le règne des choses qui prennent le dessus en occupant la scène principale.

Foodscape (Paysage de nourriture), 1964 Peinture glycérophtalique. Erró(Olafsvík, 1932)

Sur une vaste table dressée dont on ne voit pas les bords, Erró a peint le festin d'un ogre moderne. D'origine islandaise, l'artiste est célèbre pour faire le lien entre le pop art et le happening et s'inspirer des arts populaires, de la bande dessinée, du cinéma et de la photographie. Il s'inspire des grandes scènes sensuelles de repas et de marchés du Nord où la marchandise à profusion fusionne avec les êtres.

Scène de cuisine, avec lésus dans la maison de Marthe et Marie à l'arrière-plan, 1589. Huile sur bois. Joachim Beuckelaer (Anvers, vers 1555-vers 1574)

Dans la peinture flamande de la fin du 16ème siècle. la représentation de la cuisine est souvent associée à la visite de Jésus chez Marthe et Marie. La scène biblique passe ici à l'arrière-plan, pour concentrer l'attention sur la cuisinière, sorte de double de Marthe, absorbée par les tâches domestiques, quand Marie écoute la parole au Christ. La cuisinière se situe du coté des choses de ce monde : la forme du gigot fait écho à son sein, le chou renvoie à sa sexualité, la courge à la fertilité et au sexe masculin.

Les Richesses de l'avare et sa mort, vers 1600. Huile sur bois. Attribué à Hieronymus Francken Il (Anvers, 1578 -1623)

Ce tableau exhibe le luxe et le faste d'Anvers, en dépit des ravages de la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648). La ville, en effet, est restée réputée pour ces produits de luxe que Hieronymus Francken Il décrit avec précision. Ce faisant, il suscite l'admiration, voire notre convoitise. Nous aurions cependant tort de ne pas nous détacher de ces choses somptuaires pour voir à l'arrière-plan leur propriétaire, couché sur son lit de mort, et entraîné par des démons aux enfers. L'artiste suggère ainsi la vanité de ces choses fabuleuses, comme autant de péchés qui consument l'homme et sa foi.

Five Dollar Bill [Billet de cinq dollars américains], vers 1885. Huile sur toile. Victor Dubreuil (peintre américain actif de 1880 à 1910)

C'est après la guerre de Sécession (1861-1865) que le dollar est devenu un motif de représentation. Le billet vert du gouvernement fédéral a balayé alors le dollar gris des fédérés, et le peindre signait cette victoire. Surtout, des artistes se sont intéressés aux choses charriées par la croissance économique. Chez Victor Dubreuil, le dollar revient comme une obsession, ici en trompe-l'œil. Mais, peint en majesté, le billet paraît seul, triste et vain, comme si l'artiste, avait voulu retourner ce symbole du capitalisme, de la domination de l'argent, pour suggérer le contraire, le manque et la faiblesse.

La Desserte [Fruits et riche vaisselle sur une table], 1640. Huile sur toile. Ian Davidsz de Heem (1606 -1684)

Acquise par Louis XIV en 1671,  exposée au Louvre dès 1793, la Desserte de Davidsz de Heem est un chef-d'œuvre de la peinture flamande. Spécialisé dans les natures mortes, De Heem organise ce faisant le théâtre des choses, où chacune, comme sur une scène, représente la vanité des plaisirs de ce monde, la propension à l'excès de l'homme qui contient sa perte. Ci-dessus, deux extraits de l'oeuvre exposée. 

Nature morte d'après « La Desserte » de Davidsz. de Heem, Issy-les-Moulineaux, fin août-début novembre 1915. Huile sur toile. Henri Matisse (1869-1954)

Matisse a copié La Desserte de de Heem en 1893, pour se mesurer à sa force, à son faste.  Il en résulte une variation monumentale du chef-d'œuvre, où le cubisme en particulier modifie la donne en donnant aux choses une autre présence ainsi le luth est vu à la fois de face et de côté). Quant à la dimension morale de La Desserte, alors que la Grande Guerre fait rage, elle réside alors peut-être davantage dans la tentative d'ordonner le chaos du monde. Ci-dessus, le tableau puis un extrait de celui-ci.

Panaches de mer, lithophytes et coquilles, 1769. Huile sur toile. Anne Vallayer-Coster(Paris, 1744-1818)

Cette œuvre dit la passion du 18ème siècle français pour les curiosités de toutes sortes. La jeune Anne Vallayer venait d'être reçue par l'Académie royale de Peinture et de Sculpture quand elle a réuni ces coquillages, ces éponges, ces coraux et ces panaches de mer. La rigueur taxinomique en moins, cette collection agencée de façon pittoresque renvoie aux objets d'étude des cabinets scientifiques et de curiosités. Surtout, elle croise la mode «rocaille» fondée sur l'imagination des caprices de la nature, et les merveilles des boutiques de luxe où la nature se réinventait sous des formes fastueuses.

Fenêtre, fruits et légumes, vers 1602. Huile sur toile. Juan Sánchez Cotán (Tolède, 1560-1627)

Comme souvent chez Cotán, les fruits et les légumes sont juxtaposés sur un linteau, suspendus devant un fond noir énigmatique, dont ils se détachent d'autant mieux. L'artiste, principal initiateur du genre des bodegones (natures mortes), objets et scènes de cuisine, qui s'épanouit en Espagne à partir du 17ème siècle, a voulu scrupuleusement reproduire ces choses, les sculpter dans la lumière, les magnifier par le jeu des volumes et des formes. Deux ans avant de prononcer ses vœux de moine et de se consacrer à la peinture religieuse, Cotán invitait à méditer sur la beauté simple de la création divine. Ci-dessus, le tableau puis un extrait de celui-ci.

Coupe de cerises, prunes et melon, vers 1633. Huile sur bois. Louise Moillon (Paris, 1610 1696)

Louise Moillon, une des femmes peintres les plus talentueuses du 17ème siècle, affirme ici sa science virtuose du coloris. le rouge intense des cerises éclate contre le vert foncé des feuilles, les touches bleutées des prunes et le jaune orangé du melon lui font écho. Dans cette composition ordonnée et équilibrée, tous les éléments, les cerises surtout, gagnent ainsi une force plastique singulière, de sorte que le tableau engage à méditer calmement sur la beauté simple des choses. Ci-dessus, le tableau suivi de deux extraits de la même oeuvre.

Nature morte à l'échiquier, vers 1630. Huile sur bois. Lubin Baugin (Pithiviers, vers 1610-1663)

Cette Nature morte à l'échiquier est plutôt une vanité. Baugin y a rassemblé tous les éléments du genre, qui évoquent les plaisirs de la table, les délices de la musique, la passion du jeu, le narcissisme et l'orgueil, le monde terrestre et sa fragilité, enfin le caractère éphémère de toute beauté terrestre, sous la forme traditionelle du bouquet d'œillets.

Guirlande, fleurs, oiseaux et papillon, vers 1650-1670. Huile sur toile. Attribué à Juan de Arellano(Santorcaz, Madrid, 1614-1676)

Plusieurs indices invitent à attribuer cette œuvre à Juan de Arellano, en particulier la formidable variété des fleurs représentées avec science, et leur bel arrangement, qui ménage un souffle dans la chute des pétales. Après les Flamands, dans la seconde moitié du 17ème siècle, des peintres espagnols se sont spécialisés dans la nature morte florale en peignant des bouquets, des guirlandes, des couronnes de fleurs, tel Arellano. Ici, sa couronne encercle un papillon, une mésange et un pinson voletant, qui suggèrent encore sa curiosité pour l'inépuisable variété de la nature.

Nature morte au homard, 1827. Huile sur toile. Eugène Delacroix (.1798-1863)

Cette œuvre est la seule nature morte connue de Delacroix. Elle ne laisse pas d'étonner, devant l'étrange association du gibier mort à deux homards cuits sur fond d'un paysage à l'anglaise animé d'une chasse. Mais l'artiste voulait étonner le Salon, avec ce «drôle» de « tableau d'animaux» (Delacroix, 1827), qui lui avait été commandé comme décor de salle à manger par Charles Yves César Cyr du Coëtlosquet, pour son château de Beffes, dans le Cher. Au même Salon, Delacroix présenta aussi La Mort de Sardanapale, qui fit scandale, quand Nature morte au homard devait frapper par sa bizarrerie.

Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage. 1771. Huile sur toile. Luis Egidio Meléndez (Naples, 1716 - Madrid, 1780)

Meléndez a posé ses pastèques sur fond de ciel orageux. Majestueuses, elles dominent leur environnement, écrasantes du fait de la composition en diagonale où l'effet d'accumulation nous accable. Si l'artiste leur donne une telle place, c'est que sa nature morte était destinée au cabinet d'histoire naturelle de Charles de Bourbon, prince des Asturies et héritier du trône d'Espagne. Au-delà du souci scientifique, l'œuvre atteste, dans le rendu de la chair aqueuse, ponctuée de pépins noirs luisants, d'un souci décoratif.et d'une fascination de Meléndez pour la simple matière et la présence nue des choses.

Nature morte de gibier prêt à mettre en broche, 1716. Huile sur toile. François Desportes (l661-1745

Deportes nous amène en cuisine. où attendent d'être rôties diverses pièces de gibier. A l"inverse des artistes flamands qui. au le siècle élargissaient leurs natures mortes aux dimensions des étals et des intérieurs. l'artiste se concentre sur ces seules choses, dont certaines basculent du côté du décoratif. L'oeuvre d'ailleurs fut conçue pour les appartements du Régent au Palais-Royal à Paris.

Pipes et vases à boire, dit La Tabagie, vers 1737. Huile sur toile. Jean Siméon Chardin (Paris, 1699-1779)

Chardin a représenté une série d'objets qu'il possédait, de petites choses sans qualité extraordinaire, en particulier une tabagie de palissandre. La grande simplicité, l'équilibre de l'ensemble sont remarquables. Tout s'assemble, tout s'épanouit harmonieusement, pour suggérer le charme de la vie telle qu'elle est, dans ses choses mêmes. Diderot prêtait une magie singulière à la peinture de Chardin. Cette Tabagie la contient, où agit le mystère de la présence des choses, comme des personnages de l'histoire, animées d'un mouvement et d'une lumière intérieure.

Feuilles, vers 1864. Épreuve sur papier albuminé a partir d'un négatif sur verre au collodion, contrecollée sur carton. Charles Aubry(1811-1877)

Epinglées comme des papillons, ces feuilles sont rendues par la photographie dans tous leurs détails, leur volume, leur texture. En 1864, les codes de représentation employés restaient ceux, traditionnels, de la nature morte picturale, comme dans les autres photographies prises par Charles Aubry de feuilles, de fleurs ou de fruits. Cette même année, Aubry avait fondé un atelier de moulage et de photographie de végétaux à destination des dessinateurs industriels, à qui il proposait ainsi une autre représentation des choses, une alternative à leurs vieux modèles gravés et lithographiés.

Nature morte aux oranges, Tanger (Maroc), début 1912. Huile sur toile. Henri Matisse (1869-1954)

Comme Picasso, à qui il l'a empruntée pour conclure son exposition sur « La nature morte de l'Antiquité à nos jours » en 1952, l'historien de l'art Charles Sterling (1901-1991) admirait cette nature morte d'oranges. Matisse l'avait peinte au début de son premier séjour au Maroc, non sans douleurs : elle lui avait paru «insuffisante» bien que «jolie». Il l'avait recommencée, mais au risque de perdre l'essentiel : l'épaisseur des choses, leur substance, et cette sorte d'élan, la joie et la beauté qui devaient passer dans le modelé, les lignes et les couleurs, la légèreté de la touche.

Vanité_Vanitas

Nature morte dont les objets font référence à la fragilité et à la brièveté de l’existence humaine, ce qui signifie qu’il faut se tourner vers Dieu plutôt que vers les plaisirs terrestres. Le motif que l’on retrouve le plus souvent est le crâne qui rappelle la finitude de notre existence terrestre. D’autres motifs récurrents symbolisent le temps qui passe (fleurs fanées, fruits gâtés, sablier...) ou encore les plaisirs éphémères de la vie dont il faut se détacher, comme la musique, la lecture ou la bonne chère. 

Si la première vanité européenne retrouvée est une mosaïque au crâne du 1er siècle après notre ère, cette figure de la mort reprise jusqu'à nos jours rappelle inlassablement le sort qui nous attend. Les choses signifient l'abondance ou la rareté des richesses matérielles, la variété du monde et sa joliesse mais depuis le début, elles préviennent aussi de la vanité humaine, de la corruption par le pourrissement d'un fruit et de la fin inévitable que symbolise un crâne. À partir du 16ème siècle, dans un contexte encore largement religieux, la vanité a souvent la forme d'un crâne seul ou installé près d'objets symboliques comme une bougie ou un sablier qui signifient le temps qui passe inexorablement. Alors qu'à partir du 17ème siècle se développe un marché de l'art bourgeois, certains artistes montrent jusqu'à la vanité de la peinture et du tableau qui se vend désormais de plus en plus pour décorer les intérieurs aisés. Cette crise de conscience sera de nouveau d'actualité trois siècles plus tard en Europe et aux Etats-Unis sur fond de révolte contre la société de consommation.

Fruits et Coquillages, 1623. Huile sur bois. Balthasar van der Ast (Middelbourg, 1593-1594 - Delft, 1657)

L'artiste, maître de Jan Davidsz. de Heem, a agencé des éléments inertes ou vivants, accumulé des fruits dans un plat de porcelaine chinoise. L'ensemble, raffiné et fastueux, éblouit, mais cette grande beauté est déjà gâtée par la corruption. De ce point de vue, l'œuvre serait une vanité. évoquant la précarité de la vie. Mais elle devait d'abord être considérée comme un objet luxueux, qui répondait alors moins à des considérations spirituelles qu'à un exercice obligé pour satisfaire une clientèle bourgeoise. A Utrecht, celle-ci s'arrachait les peintures de Van der Ast, et elle le protégeait. Ci-dessus le tableau suivi d'un extrait de la même peinture.

Pendant que nous parlons, le temps jaloux s'enfuit. Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain. 

Horace

Reliquaire, 2020. Bronze à patine rouge. Jean-Loup Champion (Tours, 1947)

Grand Vase Charpin, 2016. Porcelaine. Barthélemy loguo (Mbalmayo, 1967)

Tige de pivoines et sécateur, 1864. Huile sur toile. Édouard Manet(Paris, 1852-1883)

Quelques tiges de pivoines affalées sur une table sont guettées par un sécateur aux lames grandes ouvertes. Cette année 1864, Manet a peint ses premiers bouquets de pivoines, mais, ici, ces fleurs du printemps, rouges et roses, sont traitées comme un animal renversé pendu au mur comme le gibier en tas des natures mortes du 18ème siècle. La scène se relie encore davantage à toutes les vanités de l'histoire qui expriment la finitude de la nature,  et donc de l'homme : dans les limites de la toile resserrée, Manet rend pathétiques et poignants les derniers feux d'une grande beauté à peine éclose.

La  vie simple

Le 19ème siècle renoue avec la simplicité des choses telle que Chardin l’avait développée un siècle plus tôt. Certains choix de sujets qui sont faits servent à magnifier ce qui peut sembler au premier abord d’une parfaite banalité : un jambon, une botte d’asperges deviennent une chose noble et intéressante. Un intérieur simple et calme, valorisé par un éclairage travaillé, devient un espace baigné de lumière, un cadre de vie douillet et précieux malgré sa simplicité et sa rigueur.

Intérieur hollandais, dit Les Pantoufles, vers 1655-1662. Huile sur toile. Samuel van Hoogstraten(Dordrecht, 1627-1678)

Si cet Intérieur hollandais paraît déserté, bien des choses trahissent la présence de ses occupants, et inventent une atmosphère : bougie, clés, balai, et, bien-sûr, ces «pantoufles», au cœur même de la composition. Il s'agit en réalité de mules, qui disent la déambulation, le passage d'une pièce à l'autre, de l'intérieur à l'extérieur, et vice versa (la porte est ouverte), la vie intime. L'œuvre, d'ailleurs, appartient au genre des «enfilades» : des vues de pièces successives, habitées de personnages et d'objets qui font le lien entre elles.

La Chambre de Van Gogh à Arles, 1889.Huile sur toile. 

Vincent Van Gogh(Groot-Zundert (Pays-Bas), 1853 -Auvers-sur-Oise, 1890)

Pour Van Gogh, sa chambre de sa maison jaune, à Arles, devait être très simple et «vide», comme un intérieur japonais. Il détestait les choses de la bourgeoisie, l'accumulation des bibelots, source de confusion mentale. Il lui fallait de l'ordre, et ce tableau devait créer les conditions du repos, une sorte d'asile de paix, avec juste les choses nécessaires, où calmer la tête et l'imagination. L'artiste devait tenir à cette projection mentale rassurante, qui le dépeint en creux : la première peinture de cette chambre (1888) ayant été endommagée, il la refit en effet deux fois  (1889).

La Table de cuisine, 1888-1890. Huile sur toile. Paul Cézanne (Aix-en-Provence, 1839-1906)

On peine à dénombrer toutes les choses accumulées dans cette Table de cuisine. Rarement Cézanne en a rassemblé autant pêle-mêle. Il s'agit de choses ordinaires, en particulier ce pot à gingembre pansu représenté dans onze autres tableaux. C'est dire combien l'artiste aimait confronter sa peinture à l'épreuve de la vérité des choses. Les effets de forme, de texture et de couleur, la construction spatiale complexe, ou les choses juxtaposées ne sont pas toutes dans le même plan, leur perception subjective expriment ainsi leur vie telle quelle est sage et intranquille, banale et riche.

Mandoline et Pivoines de Chine, 1885. Huile sur toile. Paul Gauguin (Paris, 1848 - Atuona, îles Marquises, 1903)

Gauguin aimait jouer de la mandoline qu'il a représentée au pied d'un vase noyé sous un bouquet de pivoines. Il peint ici sans doute son intérieur, au retour de Copenhague, où les choses évoquent la vie bourgeoise de celui qui fut courtier en Bourse.

Mon intérieur, Paris. Nature morte au réveil-matin, 1921. Huile sur toile collée sur panneau de bois parqueté. Foujita Tsuguharu (Léonard Foujita?). Tokyo, 1886 -Zurich, 1968.

Sur le buffet, on reconnaît la célèbre paire de lunettes rondes de Foujita. De là, le titre du tableau pourrait non seulement renvoyer à l'atelier du peintre et à ses choses, mais aussi à un autoportrait, formé, en partant des sabots surexposés, comme des pieds, par les lunettes (yeux?), la lampe(nez?), le linge à carreaux (les dents?), tenus ensemble dans la fusion des plans. Arcimboldo moderne, Foujita pourrait avoir livré son « portrait-robot », où des choses très humaines renverraient autant à son intériorité qu'à son Intérieur parisien.

Pots de grès aux pommes, 1887. Huile sur toile. Emile Bernard (1868-1941)

Tout est radical dans cette nature morte : son cadrage à hauteur des choses, sa planéité, la géométrisation des formes... A cette époque, Emile Bernard recherche une peinture pure, contre le naturalisme ou la dissolution impressionniste des formes. Il formule son credo au dos dutableau : «Premier essai de Synthétisme et de Simplification». Quelques mois plus tard, avec Paul Gauguin à Pont-Aven, Bernard poussera l'expérimentation jusqu'à simplifier à l'extrême les plans colorés, et à les cloisonner d'un cerne noir. De ce point de vue, Pots de grès aux pommes a enclenché sa révolution.

Les temps modernes

C’est Marcel Duchamp qui fait de l’objet industriel banal une œuvre d’art à part entière en l’isolant et en magnifiant sa simplicité et sa banalité. La période moderne ne s’applique plus à la reproduction exacte des choses, mais plutôt à leur évocation symbolique. La matière entre dans l’œuvre d’art par l’introduction de fragments de tissus, de journaux, de photographies, plus tard de plastique et de déchets. Le 20ème siècle donne aussi forme à la série, au bruit, à la vitesse, chose qui n’avait jamais été faite auparavant.

No Title x3, 2001. Résine, tissu, papiers imprimés, ficelle, ruban adhésif, plâtre, bois, verre, plastique. Thomas Schütte (Oldenbourg, 1954)

On donnerait volontiers pour ancêtres à ces marionnettes aux têtes grotesques "les têtes de caractère" de Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783), qui dépeignent des expressions faciales et des états d'âme. Elles font partie d'une série de 18 sculptures, commencées en 1992 et intitulée Ennemis réunis. L'Allemagne venait d'être réunifiée, et ces sculptures ont pu être interprétées comme une satire de figures politiques, de leurs ridicules et de leurs combats. Plus largement, elles suggèrent dans leur précarité un certain état de la condition humaine, et les passions qui la fondent

Poupée Tissu, cordes, fil. Alex Burke (Fort•de-France, 1944)

Cette poupée rappelle les kachinas des Hopis, ou des objets d'exorcisme. Elles ont surtout une parenté avec les marionnettes de The Bread and Puppet Theatre, compagnie radicale fondée aux États-Unis en 1962 contre la répression, la guerre, l'injustice. Burke, lui, "RECOLLE LES MORCEAUX" contre la ruine et l'aliénation de l'individu. Sa pratique du patchwork, du mixage, met au jour l'intériorité de l'homme, ses origines, mémoires, refoulements. La forme, humaine mais aveugle et sans visage, est tenue debout par ces tissus, ces rubans qui l'emprisonnent autant qu'ils rassemblent ses forces.

Coca-Cola, 1976-1986. Ensemble de 4 photographies noir et blanc cousues. Andy Warhol 1928-1987

À partir de 1976, Warhol a choisi de photographier les objets qui l'entouraient. Il a tiré des images en plusieurs exemplaires et les a assemblées, comme ici. Coca-Cola affirme sa fascination pour les fétiches de la société de consommation. L'artiste n'était pas dupe : la couture qui lie les photographies insiste sur la réalité concrète, quand le flux des images médiatiques et la reproduction technique tendent à tout déréaliser et mettre au même niveau. La transformation de la publicité en œuvre suggère les dangers et la vanité du mode de vie américain, la part à faire entre réalité et fiction.

BORIS VIAN 1920-1959     THERESE D'AVILA : 1515-1582     

Plus de 400 années séparent ces deux textes ! Que dire de plus ? 

Playtime, 1967. Film 65 mm, 13S, extrait 0'45. Jacques Tati (1907-1982)

En 1967, dans Playtime, Tati essaie désespérément d'adapter son grand corps gauche à un fauteuil en skai new look. Il nous fait ainsi comprendre de quoi son faits les temps modernes : du fétichisme des objets, mais aussi du divorce entre la matière et la personne, entre la série et l'humain qui s'obstine à demeurer singulier, inadapté. Dans son étonnement devant le siège en skaï dans une scène devenue mythique, c'est tout l'ordre nouveau technique, économique, politique, moral qu'il ne parvient pas à épouser.

Objets poétiques

Table, dit aussi La Table surréaliste, 1933. Bronze. Alberto Giacometti (1901-1966)

Cette Table surréaliste associe une tête féminine, une main coupée, un polyèdre et un creuset contenant une fiole. L'assemblage est poétique et symbolique. Son incongruité évoque la «rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie» dont le comte de Lautréamont, salué par les surréalistes comme un de leurs prédécesseurs, vantait la beauté en 1869.

Casserole and Closed Mussels (Cocotte de moules fermées), 1964. Coquilles de moules, pigments, résine polyester et cocotte en fer avec poignées en bois. Marcel Broodthaers (Bruxelles,1924 - Cologne, 1976)

Il s'agit d'un des premiers assemblages de Broodthaers, après qu'il a abandonné la poésie et la littérature pour, affirmait-il ironiquement, «entrer dans le moule», «vendre quelque chose et réussir». L'œuvre s'inscrit dans une série d'autres «casseroles de moules», évoquant le plat national de sa Belgique natale, et surtout cette «reconversion» en forme de blague .Référence surréalisante aux coquillages des natures mortes flamandes, symboles de vanité, le mollusque fermé contient du vide, comme l'artiste, qui, par dérision, atteint au degré zéro du langage plastique.

Bagage de Lune, 1959. Assemblage : coffret, fragments de bois noirci trouvés, collés et cloués. Louise Nevelson (1899-1988)

Dès 1950, Louise Nevelson a recyclé des choses ordinaires dans ses sculptures comme ici des fragments de bois peints en noir. L'œuvre ressemble à une sorte d'autel, à un totem, à une collection de reliques. Ces petits restes usés ont vécu, ils paraissent même être passés par la destruction - l'œuvre serait-elle alors une parabole du destin des sociétés industrielles ? En 1959, le premier survol de la Lune faisait rêver à d'autres mondes, mais Nevelson pouvait d'abord s'inquiéter que le nôtre soit dur, sec et triste, comme un paysage lunaire.

Métamorphoses

Le terme métamorphose définit l’instabilité du monde dans lequel nous vivons. Aujourd’hui, les choses ne sont plus que de froids pastiches parfois chargés d’une lourde signification historique, politique ou éthique ; elles conservent pourtant la vertu de parler symboliquement d’affaires qui restent essentiellement liées à l’humain. Les choses traduisent les plaisirs de l’homme, elles abordent en plus la mort, la solitude, la précarité, la recherche d’un refuge, les incertitudes des changements climatiques.

Burlesque, 2008. Huile sur toile. Glenn Brown (1966)

Avec ces pommes gâtées, Burlesque est une vanité. Brown aime à réinterpréter les chefs-d'œuvre, mais en les inquiétant avec des logiciels de traitement d'images qui changent tout, tandis que son photoréalisme feint même la touche pour le rapprocher davantage des maîtres anciens. L'artiste se mesure ici à Gustave Courbet et à ses Pommes rouges au pied d'un arbre (1871-2), peintes en prison. Brown en accentue le pessimisme, la douleur, jusqu'à l'angoisse et au tragique d'une apocalypse en vert hallucinant, où le pourrissement des choses corrompt la terre et le ciel, à moins que ce ne soit l'inverse.

Rabaisser les puissants m'intéresse moins que glorifier les humbles ...le galet, l'ouvrier, la crevette, le tronc d'arbre, et tout le monde inanimé, ce qui ne parle pas.

Francis Ponge, écrivain et poète français, 1899 -1988

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Christiane Muller 

A la retraite, je peux enfin me livrer sans limites à mon goût pour les découvertes, et l'exploration de nouveaux endroits et paysages qui me sont encore méconnus. Que je voyage seule ou accompagnée, je suis passionnée par ce que je fais et c'est avec plaisir que je partage mes aventures avec vous. Alors, mettez vos baskets, et suivez-moi !

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