Novembre 2023

Après une balade dans les Hautes Vosges d'Alsace, quoi de mieux que de terminer sa journée dans un petit musée niché au coeur de l'Alsace, au pied du Grand Ballon.

C'est ce que nous avons fait en nous arrêtant au Musée Théodore Deck installé dans la petite ville de Guebwiller.

Théodore Deck est né à Guebwiller en 1823 et est décédé à Paris en 1891. Il est, encore aujourd'hui, reconnu dans le monde entier comme le plus grand céramiste de son temps.

L'exposition proposée dans ce petit musée de Guebwiller offre l'occasion de se plonger dans le remarquable parcours de ce grand céramiste, allant de ses jeunes années et sa formation en Alsace à son apprentissage à travers l'Europe jusqu'à son installation à Paris et sa nomination en tant qu'administrateur de la Manufacture nationale de Sèvres en 1887. 

C'est dans la capitale que Théodore Deck décide de fonder son atelier de faïence d'art en 1859. Il n'en oublie pas pour autant sa région natale et conserve tout au long de sa vie un lien profond avec l'Alsace.

Dès le 19ème siècle, Théodore Deck a acquis une renommée mondiale grâce à ses innovations techniques, notamment ce fameux bleu turquoise auquel il a donné son nom.

Les pièces exposées sont issues de la plus importante collection publique d'oeuvres du céramiste, mais également des prêts d'institutions publiques, de collectionneurs privés.

Placé sous la tutelle de la municipalité, le musée a bénéficié depuis 2016 de plusieurs campagnes de travaux de rénovation, qui vont se poursuivre dans les prochaines années. 

Découvrez ici, en images, quelques pièces exposées. 

Je ne peux que vous encourager à passer un après-midi dans ce joli petit musée qui abrite également une des plus belles collections de minéraux de la région, illustrant ainsi la variété et la richesse du Massif vosgien.

Emile Auguste Reiber, Théodore Deck, Tulipière et Pot à tabac, faïence fine, entre 1860 et 1880.

Émile Auguste Reiber né à Sélestat le et mort à Paris le dessinateur d'objets d'art et architecte français.

Suite à la guerre franco-prussienne, les habitants des territoires cédés à l'Allemagne, à savoir l'Alsace et une partie de la Lorraine, font face à un choix. S'ils choisissent de rester sur ces territoires, ils deviennent des sujets de l'Empire allemand. S'ils font le choix de rester des citoyens français, ils sont obligés de quitter définitivement leur région et de s'installer en France. 

Les documents d'option reflètent ces choix cruciaux pour leur citoyenneté, leur identité et leur place dans ce nouvel ordre européen. Théodore Deck ainsi que ses frères et soeurs optent pour la nationalité française, comme en attestent les documents exposés ci-dessus et cet encrier, témoins de l'engagement politique du céramiste.

Encrier, témoin de l'engagement politique du céramiste.

Ernest Carrière, Théodore Deck, Cigogne et cigogneau, deuxième moitié du 19ème siècle, faïence fine.

Ernest Carrière (1857-1908) fut artiste peintre et céramiste français. Peu avant sa mort, il venait d'être nommé directeur de la création à la Manufacture de Sèvres.

Albert Anker, artiste Suisse est un proche ami et collaborateur de Théodore Deck. Par son entremise, Deck est lié à Ernest Zuber, un fabricant de papier peint installé à Rixheim et à Armand Weiss-Zuber, magistrat et bibliophile mulhousien. Celui-ci commande à la manufacture des frères Deck une série de quatre assiettes pour sa bibliothèque, qu'il cède à la Société Industrielle de Mulhouse à sa mort en 1892. Ces assiettes sont ornées de portraits de poètes et écrivains de langue allemande.

Jean Geiler de Kaysersberg (1445 - 1510)

Sébastien Brant (1458 - 1521)

Gottfried von Straßburg ou Godefroi de Strasbourg (né à Strasbourg vers 1180 – vers 1215) était l’un des poètes allemands du Moyen Âge les plus renommés.

Un réseau alsacien à Paris : les dîners 

chez les Deck

Cette table est une évocation du dense réseau artistique du céramiste à Paris. Théodore Deck fréquente les grands noms de la scène artistique et culturelle, dont beaucoup sont d'origine alsacienne. Les frères Benner, Albert Anker, Eléonore Escalier, Eugène Glück, Elise Hiard, Joseph Chéret, Paul Helleu, Sophie Schaeppi, Emile Reiber, Eugène Dock, Auguste Lamère, François Ehrmann, les frères Benner ou encore Jean-Jacques Henner comptent parmi ses connaissances. Ses plus proches amis ont pour habitude de dîner une fois par semaine chez les Deck.

La légende raconte que le principe de la collaboration de la manufacture avec ces artistes est né au cours d'un dîner : Théodore Deck les aurait invités à décorer leur assiette pour la semaine suivante.

François Ehrmann, Théodore Deck, Danseuse, 1867, faience fine.

Des pièces exceptionnelles 

et des décors monumentaux 

Théodore Deck est sollicité pour la création de décors monumentaux. Il réalise des décors allégoriques, composés d'immenses panneaux de carreaux de faïence pour plusieurs expositions universelles. 

Il répond également à des commandes privées, pour des intérieurs parisiens, ainsi que dans sa ville natale, à Guebwiller. 

En 1878, après sa découverte des décors de mosaïques dorées de la basilique Saint-Marc de Venise, il dévoile au public sa technique des fonds d'or. Les premiers essais de pièces dites "flammées" sont présentés en 1880 à l'exposition de l'Union Centrale des Arts Décoratifs. Les expositions universelles permettent également de montrer des pièces monumentales, véritables prouesses techniques, comme des vases et des hauts-reliefs.

Parmi ses créations figurent le décor orientalisant de la salle de bain de la marquise de Païva sur les Champs-Elysées, ainsi qu'un décor commandé par le cercle républicain de Paris en 1877. 

Théodore Deck réalise deux décors monumentaux à Guebwiller pour des familles d'industriels, les Schlumberger et les De Bary.

Enseigne de son atelier à Paris situé dans le passage des Favorites, au 271 rue Vaugirard. L'atelier Deck collabore alors pour la réalisation de plats ou de plaques avec de nombreux artistes peintres qui ont pour beaucoup déjà fait leur preuve.

Suite à la Révolution de 1848, Théodore Deck se voit contraint de quitter la capitale et de revenir dans sa ville natale, Guebwiller. Il décide d'y ouvrir son propre atelier de modelage et de sculpture. En effet, désireux de devenir sculpteur dans sa jeunesse, Théodore Deck perd ce rêve de vue par manque de moyens financiers ; son apprentissage chez le maître Hügelin à Strasbourg représente alors une alternative à son projet artistique. Grâce à cette formation et à ses années d'apprentissage en tant que compagnon, il a développé des compétences en modelage, en se concentrant notamment sur l'ornementation et la sculpture des poêles en faïence. 

Poêle de chauffage. Carreaux de faïence à décor de branches fleuries et oiseaux.

À Guebwiller, il se consacre pleinement à sa passion pour la sculpture et se plaît à réaliser des pièces en terre cuite, notamment des bustes, des vases, des lampes et des copies d'oeuvres du 18ème siècle et du début du 19ème siècle. Ces quelques années constituent une période de transition, entre ses années de jeunesse et de formation et son début d'activité en 1851 à Paris.

Bernard PALISSY, 1876

Statue en faïence de plus de 2 mètres de haut.

Cette statue monumentale représente Bernard Palissy, le plus fameux céramiste de la Renaissance française. Il était notamment célèbre pour une production de plats en faïence émaillée, décorés d'animaux très réalistes, et moulés sur nature, appelés « rustiques figulines ».

Bernard Palissy fait figure de modèle pour Théodore Deck. Tous deux ont été de grands expérimentateurs et ont publié des écrits sur la céramique, évoqués par les livres posés sur le fût. 

Théodore Deck, Wolfgang Amadeus Mozart, 1848, terre cuite.

Théodore Deck, Thésée terrassant le centaure, 1848, terre cuite.

Cette oeuvre constitue un témoignage à la fois rare et unique de la production de Théodore Deck au cours de sa jeunesse et de son activité à Guebwiller, entre 1848 et 1851. Cette pièce exceptionnelle a été réalisée dans son atelier guebwillerois. La création dévoile l'habileté technique de Théodore Deck dans l'art du modelage, qu'il développe lors de son séjour à Vienne, chez le fabricant impérial de poêles Erndt. Il rapporte également de son expérience viennoise un goût prononcé pour la sculpture néoclassique, perceptible à travers cette oeuvre inspirée d'une oeuvre monumentale en marbre réalisée par le sculpteur italien Antonio Canova, Thésée combattant le centaure, conservée aujourd'hui au Musée de l'Histoire de Vienne.

Le Musée Théodore Deck, en tant que Musée de France, a pour mission essentielle et obligatoire de préserver, étudier, valoriser, restaurer et diffuser les oeuvres de sa collection. C'est à ce titre que l'oeuvre Thésée terrassant le centaure Biénor a été restaurée. Conservée dans les réserves du musée et en très mauvais état, elle n'a pas été présentée au public depuis des années. La restauration de cette oeuvre répond à un code de déontologie rigoureux, garantissant à la fois son intégrité et le principe de réversibilité, permettant ainsi de conserver l'objet sans pour autant effacer les traces de son histoire. 

Les deux chats visibles dans cette vitrine sont un bon exemple de la diversité des sources d'inspiration de Théodore Deck. Si leur forme reproduit les statuettes égyptiennes représentant la déesse Bastet, protectrice du foyer, leur couleur s'inspire directement du bleu des céramiques perses. Ce bleu turquoise, appelé bleu Deck, fait la renommée du céramiste grâce à la richesse et la profondeur de ces nuances. Fruit de longues recherches, cette glaçure inédite contient un mélange d'oxydes de cuivre et de cobalt.

Assiette à fond d'or. Portrait d'Ambroise Paré. Offerte par Deck à son médecin. 1880

Théodore Deck / Ernest Carrière (peintre). Plat Canard col-vert en vol. Vers 1890

Théodore Deck .Vide-poche Émail rouge flammé dit sang-de-bœuf et intérieur turquoise.

Un regard vers le passé.

 Une nouvelle renaissance.

Mis en avant sous la Restauration pour légitimer le pouvoir en place, l'art de la Renaissance française devient la référence fondatrice d'un nouveau style national sous la Monarchie de Juillet (1830 - 1848). Les arts décoratifs reprennent les motifs antiques (petits angelots, têtes de boucs, nymphes et satyres), les figures théâtrales et la richesse décorative propres à l'art de la Renaissance

À ses débuts, Théodore Deck relève le défi technique de reproduire ces pièces aux riches ornements, produites au début du 16ème siècle pour l'entourage royal. Il parvient à retrouver une technique d'incrustation de pâtes colorées en utilisant un moule à relief. Peu d'exemplaires de ses essais subsistent aujourd'hui.

Théodore Deck / Louis Carrier-Belleuse (peintre). Plat Euterpe, muse de la musique.

Théodore Deck. Plat Dame aux chardons. 1873

Théodore Deck. Compotier La Belle Marguerite. 1866

Référence à l'histoire de Faust et Marguerite mise en scène par Goethe au début du 19ème siècle.

Théodore Deck / Jules-Antoine Legrai (peintre). Coupe à pied Ronde d'amours.

Théodore Deck. Plat. Vers 1860

Deck s'inspire de la faïence à lustre métallique produite en Espagne à la Renaissance. 

LE BLEU DECK

UNE COULEUR VENUE DE PERSE 

Bleu turquoise aux multiples nuances, le bleu Deck fait beaucoup parler de lui. Mais quel est donc son secret ? Fruit de longues expérimentations, le bleu turquoise présenté par Théodore Deck à l'exposition des arts industriels de Paris en 1861 lui vaut la première médaille de sa carrière. 

Cherchant à reproduire le bleu des céramiques persanes, il obtient un bleu turquoise dont les nuances et l'intensité varient en fonction de l'épaisseur de la glaçure. Dans son traité La Faïence, Théodore Deck divulgue une recette malheureusement incomplète de son bleu. Depuis sa disparition, aucun céramiste n'a pu reproduire avec exactitude cette couleur.

Des oeuvres inspirées de l'Asie

Certaines faïences ont pour point commun d'être presque toutes inspirées par l'art chinois et japonais. Théodore Deck a pu voir des vases en porcelaine et en bronze chinois dans les collections du Musée de Sèvres ou chez des collectionneurs privés, comme Henri Cernuschi.

Un de ses collaborateurs, Emile Reiber, a d'ailleurs gravé des pièces en bronze de la collection Cernuschi, transposées en faïence par Deck. 

Le céramiste possédait lui-aussi sa propre collection de porcelaines de Chine et du Japon.

Autre exemple, le perroquet bleu sur son rocher aubergine imite fidèlement un modèle chinois datant de l'époque Qing (1644-1911), courant dans les collections européennes. L'association de ces deux couleurs se trouve fréquemment dans la porcelaine chinoise.

Cache-pot d'inspiration japonaise. Décor d'oiseaux, papillons et branches fleuries.

Théodore Deck. Boîte Inspiration asiatique. Poignée en forme de rouleau

Théodore Deck. Statuette en forme de tortue. Glaçure céladon

Théodore Deck. Pot à décor japonisant. Décor de branches de bambou.

Rêves et Retour d'Orient.

Au 19ème siècle, les artistes voyagent plus aisément au Maghreb et au Proche-Orient et rapportent de nombreux objets, des croquis et des photographies.

Théodore Deck se prend de passion pour la céramique d'Iznik exposée au Musée de Cluny à Paris. Il admire la qualité des faïences produites à partir du milieu du 15ème siècle dans la ville d'Iznik en Turquie. Il s'applique à reproduire le rouge typique d'Iznik. Si certaines pièces sont de véritables imitations, d'autres sont des interprétations plus libres à partir des motifs végétaux et floraux stylisés caractéristiques de la céramique d'Iznik.

Théodore Deck s'intéresse à la forme des objets d'art égyptien et syrien tels que des lampes de mosquée en verre émaillé ou des bassins rituels en métal incrusté. Transposés en faience, ces objets deviennent purement décoratifs.

Eugène Collinot (céramiste). Vase d'inspiration Extrême-orientale. Décor d'émaux en reliefs cernés

Théodore Deck. Tanagra. Faïence émaillée

Décor floral.

Théodore Deck. Vase à col en forme de corolle.

Théodore Deck. Jardinière sur monture en bois sculpté. Décor d'oiseaux et végétaux.1872

Théodore Deck .Coupelle Hirondelle et abeilles. Après 1887

Théodore Deck / Elise Hiard (peintre). Assiette Datura et tulipe rose. Après 1887

Décor de la véranda. Villa Les Glycines.

Vers 1890, la famille De Bary, fabricants de rubans de soie, fait construire à l’entrée de Guebwiller une résidence nommée « Les Glycines », et commande à Théodore Deck un décor en céramique pour en orner la véranda.

Exécuté d’après un dessin de A. Lamère, ce décor évoque un paysage lacustre, peuplé d’une faune aquatique et de nombreux oiseaux, dont certains sont d’origine exotique (perroquet, paon, faisan). Les rives, où l’on découvre encore des petits animaux (papillons, grenouilles…) sont couvertes d’une riche et multicolore végétation florale, comportant – bien évidemment – des glycines.

Le décès de Théodore Deck

Le 15 mai 1891, Théodore Deck, malade depuis plusieurs années, s'éteint à l'âge de 68 ans. Son décès est annoncé dans la presse nationale et dans la presse étrangère, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie et aux Etats-Unis. Toutes les nécrologies publiées, ainsi que le registre de condoléances établi par ses proches, attestent de la place éminente qu'il occupait dans le monde de la céramique et des arts décoratifs en France, mais également du respect et de la considération de ses contemporains. 

Théodore Deck repose au cimetière du Montparnasse à Paris, dans un monument funéraire dessiné par son ami Auguste Bartholdi.

En 1924, un appel à souscription est lancé pour la construction d'un monument commémoratif dans sa ville natale pour célébrer le centenaire de sa naissance. Cent ans plus tard, ce monument est toujours visible dans le parc de la Marseillaise. Il y figure un portrait du céramiste inspiré d'un médaillon réalisé en 1887 par le sculpteur Ferdinand Levillain. Une version en bronze de ce médaillon orne également la tombe du céramiste.

Merci d'avoir lu cet article. J'espère que vous avez apprécié ce partage. Je vous dis à bientôt.

Christiane Muller

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